La longue route vers la “full dématérialisation” des processus financiers

dans les organismes publics et opérateurs de l’Etat

Sprint quand de nouvelles dispositions paraissent, saut d’obstacles lorsqu’il s’agit d’auditer ses processus, ou marathon tant les idées nouvelles semblent inépuisables du côté des ministères financiers en matière de dématérialisation de la chaîne financière. Chez les organismes publics et opérateurs de l’Etat, la “full démat’” qui a rapidement succédé au tremblement de terre de la GBCP, occupe une place de premier plan dans leurs enjeux actuels.

Par Clémence Monvoisin, Consultante auprès du secteur public, experte des organisations financières.

Des promesses encourageantes et des efforts importants pour accompagner les organismes publics

La dématérialisation offre plusieurs promesses : la traçabilité des actes et documents de gestion et leur inviolabilité grâce à des systèmes d’information sécurisés. C’est aussi un enjeu d’efficience des processus par la réduction du volume de données à saisir et donc du taux d’erreur inhérent à l’action humaine, et par l’augmentation de la rapidité des contrôles, voire leur automatisation. On retrouve par ailleurs souvent la promesse faite aux agents de pouvoir consacrer davantage de leur temps de travail à des tâches dites “à forte valeur ajoutée”, en tout cas davantage cohérentes avec les compétences, savoir-faire, et intérêts liés à leurs fonctions.
Enfin, au siècle du sacre de la donnée sous toutes ses formes, la dématérialisation permet la circulation d’une information financière fiable, vérifiée, et intègre auprès de l’ensemble des parties prenantes de l’organisme public : contrôles, tutelles, financeurs…

Pour donner un cadre à cette nécessaire évolution, un arsenal réglementaire se déploie depuis plusieurs années pour couvrir toutes les facettes de la chaîne financière : factures, marchés publics, comptes financiers, pièces justificatives, bons de commande, visas et signatures, services faits… Pour accompagner les établissements publics, les directions du Ministère de l’Economie et des Finances ont considérablement investi. La dématérialisation des factures a été soutenue par la mise à disposition généralisée et gratuite de Chorus Pro, le portail développé, administré et maintenu par l’AIFE. La dématérialisation des procédures de marchés publics a été accompagnée des travaux de la Direction des Affaires juridiques avec la création du profil d’acheteur, la plateforme PLACE de publication des appels d’offres, et le DUME2 à l’échelle européenne. Prochaine grosse attente : la dématérialisation totale des données budgétaires et comptables des opérateurs de l’Etat, déjà bien engagée avec la remontée dans l’infocentre décisionnel de la DGFiP des comptes financiers, et qui devrait connaître un coup d’accélérateur important avec “INFINOE”3, le projet de sa refonte.

La route vers la “full dématérialisation” n’est pas toute tracée

Pourtant en interne dans les établissements publics, il peut avoir manqué une brique d’appropriation organisationnelle qui a laissé une zone de flou pour la mise en œuvre de ces chantiers ambitieux. La dématérialisation des factures fait cas d’école en matière de processus semi-abouti : nombreux sont encore les établissements qui re-matérialisent par l’impression les factures récupérées sur Chorus Pro. A cette situation plusieurs causes : des circuits et délégations de signature qui n’ont pas été repensés pour permettre aux acteurs de la chaîne financière de faire avancer les processus, ou à l’inverse, une conduite du changement qui n’a pas été réalisée pour amener les signataire d’antan à prendre en main les nouveaux outils informatiques. C’est aussi souvent la faute à une mauvaise implémentation de l’étape du service fait qui doit permettre de rapprocher une facture à son fait générateur et ainsi d’accélérer et faciliter la liquidation. Enfin, certaines organisations facturières peu structurées dans lesquelles “tout le monde fait tout” auraient gagné à être ré-interrogées à la lumière des nouveaux modèles organisationnels expérimentés (services facturiers, centres de services partagés…).

Ces situations montrent qu’il ne suffit pas de décréter un cadre nouveau, ni même d’attendre des solutions techniques, mais au contraire à quel point il est nécessaire de prendre la question de la dématérialisation par la réécriture quasi-complète des processus. C’est-à-dire imaginer des circuits qui ne créent pas de rupture dans l’enchaînement des tâches et étapes. Cette approche semble acquise sur certains aspects, par exemple pour les visas et validations, dont l’enregistrement électronique se substitue aux signatures manuelles des agents habilités. Le stockage des pièces justificatives est également désormais largement utilisé directement dans les applications ou via des systèmes de GED4.

Reste à travailler sur ce qui permettra de concevoir jusqu’au bout ces nouveaux modes de travail numériques. Parmi les manques exprimés par les organismes publics et opérateurs de l’Etat, on retrouve les problématiques de sécurisation des informations et actes de gestion : pour passer de piles d’exemplaires originaux papier à des documents nativement numériques, il faut pouvoir attester de l’intégrité et de l’inviolabilité de ces pièces, par exemple en les cryptant ou les stockant dans des espaces sécurisés, comme les coffre-forts électroniques.
Sachant que les processus financiers ne commencent pas dans les bureaux de la direction financière pour se terminer dans ceux de l’agence comptable, il sera également nécessaire de renforcer l’intégration et l’interopérabilité entre les différentes briques du système d’information, en particulier en amont de l’application financière, pour éviter de créer des ruptures dans les flux. Le cas d’usage appliqué aux marchés publics permettrait par exemple la communication exhaustive, rapide et sécurisée des données entre les outils de gestion des procédures de marchés publics dématérialisées, les plateformes mutualisées de publication, le système d’information financier et l’application de suivi d’exécution opérationnelle du contrat.

La démarche de dématérialisation des processus financiers a indubitablement des effets vertueux sur les organisations publiques, avec une traduction directe sur leurs indicateurs de pilotage – taux de rejet, taux d’exécution budgétaire, délais de paiement… – mais elle génère également de nouvelles exigences, comme en matière de contrôle interne avec la revue régulière des habilitations et des règles de confidentialité, celles-ci devant être en tout instant en parfaite concordance avec les délégations en vigueur. C’est aussi une gestion du risque à repenser tant celui-ci a changé de nature et peut même devenir plus conceptuel. Car outre la cyber-malveillance ou la gestion de la continuité d’activité en cas d’incident majeur, la dématérialisation peut avoir tendance à rendre “impalpables” certaines actions, pourtant essentielles, notamment de contrôle, et impose une remise en perspective périodique par les managers publics des tâches confiées à leurs équipes.

1 dématérialisation totale
2 Document unique de marché européen : https://www.economie.gouv.fr/daj/dume-espd
3 État et opérateurs
4 “INFINOE” est le nom du projet de refonte de l’infocentre décisionnel de la DGFiP pour les EPN et GIP. Pour plus d’informations : budgetplus.finances.gouv.fr
5 Gestion électronique des documents