RSE : et si les dirigeants financiers du secteur public

avaient un rôle à jouer ?

A quelques jours de la COP 261, l’Association Nationale des Directeurs Financiers et de Contrôle de Gestion (DFCG) a tenu sa 17ème édition des Assises Nationales des Services Publics2, un rendez-vous annuel dédié aux acteurs de la fonction financière du secteur public.

Cette année, baromètre co-produit par les cabinets EY et CGI à l’appui, les intervenants ont interrogé le rôle des dirigeants financiers en tant qu’acteurs de la “transformation durable”. Il fallait comprendre derrière cette expression la notion de responsabilité sociale et environnementale (RSE), sur les enjeux de protection de l’environnement, lutte contre le dérèglement climatique, réduction de l’empreinte carbone, promotion de la diversité, lutte contre toutes les formes de discrimination et promotion de l’égalité des chances.
Des questionnements qui permettent de sensibiliser sur la nécessaire exemplarité du secteur public et d’interroger le rôle concret du dirigeant financier.


Par Clémence Monvoisin, Consultante auprès du secteur public, experte des organisations financières.

RSE dans le secteur public : le casse-tête de l’exemplarité

Au cœur des obligations déontologiques applicables aux agents publics, la notion d’exemplarité a rythmé les échanges de cette matinée du 21 octobre 2021.

Pour engager le pays tout entier dans la nécessaire transition qui nous fait face, ceux qui nous gouvernent doivent montrer la voie. C’est donc tout logiquement qu’en introduction de ces 17èmes Assises Nationales des Services Publics, Olivier Dussopt, Ministre délégué auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, chargé des Comptes publics, a tenu à mettre en exergue les actions lancées dans sa propre maison.

Investissements verts, économies d’énergie, politiques de diversité, le troisième patron de Bercy a dressé une liste des pratiques en vigueur au MINEFI en faveur “d’une économie plus compétitive, écologique et solidaire« 4 dont les autres administrations, y compris au-delà de nos frontières, pourraient s’inspirer. Car en plus d’afficher l’exemplarité de son ministère à l’échelle hexagonale, Olivier Dussopt s’est offert l’argument incontournable sur la scène européenne : le Budget Vert de l’Etat5, une initiative lancée lors du One Planet Summit de 2017, et que notre pays est le 1er Etat à avoir mise en œuvre, dissipant ainsi tout doute quant à la volonté de la France d’être première de la classe.

Le Budget Vert : Qu’est-ce donc que cette invention ?

Le Budget Vert de l’Etat est une annexe destinée au Parlement qui consiste, à travers une classification des dépenses selon leur impact sur l’environnement, à mieux intégrer les enjeux environnementaux dans le pilotage des politiques publiques. Pour élaborer le Budget Vert, concrètement, les budgétaires de Bercy reprennent les dépenses et leur donnent une couleur :

  • “verte” si celles-ci sont favorables à l’environnement sur au moins un axe environnemental sans être défavorables par ailleurs6;
  • “grise” pour celles qui ont un impact favorable sur un ou plusieurs axes environnementaux tout en présentant un impact défavorable sur d’autres axes environnementaux. Soit des dépenses, “globalement” neutres. Elles correspondent, par exemple, à des dépenses concernant les infrastructures ferroviaires, classées favorablement sur l’axe climatique mais qui engendrent de l’artificialisation des sols et des déchets ;
  • “rouge” pour les dépenses ayant un impact défavorable pour l’environnement. Il s’agit essentiellement de dépenses fiscales, en particulier les exonérations ou taux réduits sur les taxes intérieures de consommation des produits énergétiques relatifs aux carburants.

Le plus audacieux avec cet exercice, c’est que l’Etat se livre à la première version d’un exercice de vérité et montre très clairement les impacts défavorables de l’action publique sur l’environnement. Plus que de dénoncer, l’intérêt de la démarche réside dans la mise en lumière de la complexité inhérente à la gestion de notre collectif. Elle montre en particulier que les politiques publiques ne sont pas à l’abri de poursuivre des objectifs antagonistes, bien illustrés par Alexandre Grosse, Chef de service, adjoint à la directrice du Budget exprime à travers l’exemple de la rénovation des routes, indispensable dans le cadre de la politique publique de sécurité routière mais “discutable »7 dans une logique de promotion des mobilités moins polluantes. Sans mettre sur la place publique et de manière simpliste les choix qui pèsent sur les gestionnaires publics, l’exercice garde le mérite de faire toucher des arbitrages, en général, plutôt implicites.

Évidemment, comme dans toute expérimentation, l’exercice du Budget Vert de l’Etat présente des limites. En premier lieu, parce que le budget de l’Etat est aussi une caisse de financement pour d’autres organismes. Ainsi pour qualifier correctement ses dépenses, il conviendrait d’aller auditer les dépenses finales de ces organismes.
Plus fondamentalement, Alexandre Grosse a tenu à repositionner l’exercice budgétaire dans son rôle premier, éminemment politique : “c’est une problématique de contrôle démocratique de l’action du gouvernement autour de l’adoption du budget”. Puis de questionner si la RSE doit donc vraiment s’appliquer au budget de l’Etat. Une question que l’on peut ouvrir au périmètre des organismes publics et opérateurs de l’Etat.

Alors, que peut-on vraiment demander aux dirigeants financiers en matière de RSE ?

C’est la question avec laquelle Jacques Rapoport, Président du groupe Services publics et administrateur de la DFCG, ouvrait ces 17emes Assises. Cherchant à dépasser le cliché selon lequel le dirigeant financier est d’abord (ou exclusivement) là pour surveiller les budgets et surtout qu’ils n’augmentent pas, il reconnaît que si les métiers de la gestion sont éminemment techniques, exigeant un haut niveau de maîtrise de la comptabilité, des systèmes d’information, de la gestion budgétaire et de trésorerie, “le dirigeant finance gestion n’est pas simplement un producteur de comptes et de tableaux de bord, c’est aussi un homme de synthèse”.

Dans la bouche du secrétaire général de l’ADEME8, Noam Leandri, le propos se précise pour inviter à faire l’observation, simple mais redoutable, que les acteurs des métiers du chiffre sont ceux qui savent le mieux mesurer un impact, que celui-ci soit financier ou de toute autre nature : environnementale, sociale… C’est dans cette logique qu’au sein de l’Agence de la transition écologique, tous les membres de la direction financière ont été formés à la comptabilité extra-financière, ou “triple capital”9.
S’appuyant sur des compétences et une posture qui sont déjà au cœur du rôle de dirigeant financier, il s’agirait donc d’élargir le spectre de la performance qu’il mesure et pilote.

Mais il est un autre argument qui fait mouche : celui de l’attractivité des métiers de la finance publique, et plus largement de la gestion des compétences dans l’administration. En juin 2020, c’est le cabinet Deloitte qui nous révélait, via son Baromètre des acteurs financiers publics 2020, que l’attractivité de la fonction financière perçue par les financiers eux-mêmes
demeurait faible, expliquant cette perception par “la technicité, la complexité ou la nature du travail financier et comptable qui n’est pas jugé comme suffisamment porteur pour attirer les talents10. Pour le dirigeant financier, il s’agit donc également d’un enjeu managérial et stratégique afin de faire perdurer un haut niveau d’expertise et de service au sein de ses troupes.

En particulier à une époque où les emplois traditionnels et les manières de travailler sont largement remises en question, inscrire la responsabilité sociétale dans une feuille de route financière, c’est un message fort envoyé aux collaborateurs. C’est leur dire que l’on donne du sens à leur action, un nouveau champ de profondeur, au-delà de la vision classique des finances en tant que contrôle et régulateur. Quand on lit, dans une récente étude de l’ADEME que 78% des collaborateurs choisissent, à offres équivalentes, de rejoindre une organisation engagée pour la transition écologique11, il se pourrait que ce soit le pari gagnant.

1 https://www.gouvernement.fr/les-decisions-cles-de-la-cop-26-contre-le-rechauffement-climatique
2 https://www.dfcg.fr/evenement/assises-nationales-des-services-publics-2021/?go=inscription
3 Il s’agit du tableau n°1 DPGECP (page 25 de la circulairepour retrouver le baromètre “Responsabilité sociétale et dirigeants financiers publics : de la prise de conscience à la mise en oeuvre ?” : https://www.ey.com/fr_fr/government-public-sector/barometre-dfcg-ey-cgi)
4 Discours d’introduction d’Olivier Dussopt, Ministre délégué auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, chargé des Comptes publics lors des 17èmes Assises Nationales des Services Publics
5https://www.economie.gouv.fr/publication-budget-vert-2022# et le rapport https://www.economie.gouv.fr/files/files/2021/Rapport_impact_environnemental_budget_Etat_2022.pdf 
6 Les six objectifs environnementaux sont la lutte contre le changement climatique ; l’adaptation au changement climatique et la prévention des risques naturels ; la gestion de la ressource en eau ; l’économie circulaire, les déchets et la prévention des risques technologiques ; la lutte contre les pollutions ; la biodiversité et la protection des espaces naturels, agricoles et sylvicoles.
7 expression employée par Alexandre Grosse lors des Assises des services publics
8 Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie
9 la comptabilité “triple capital” est une démarche évaluative qui permet à partir des principes classiques de comptabilité, d’intégrer au passif des états financiers les capitaux naturels et humains, voir l’article de l’AVISE
10Le Baromètre Deloitte des acteurs financiers publics 2020 : https://www2.deloitte.com/fr/fr/pages/secteur-public/articles/barometre-acteurs-financiers-publics-2020.html 
11 Etude de l’institut CSA pour LinkedIn et l’ADEME  https://presse.ademe.fr/2021/06/etude-de-linstitut-csa-pour-linkedin-et-lademe-78-des-salaries-choisiraient-a-offres-equivalentes-de-rejoindre-une-entreprise-engagee-pour-la-transition-ecologique.htm

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