La fonction achat chez les opérateurs de l’Etat : à la croisée des enjeux de

modernisation, rationalisation et RSE

En avril 2021, six nouveaux cahiers des clauses administratives générales (CCAG) sont entrés en vigueur, avec l’ambition, par le ministère de l’Economie et des Finances d’en faire « des outils efficaces au service de l’achat public durable”. Une ambition qui résonne encore avec les objectifs du programme Action Publique 20222 qui consacrait un axe stratégique à la modernisation de la gestion budgétaire et comptable.

Par Clémence Monvoisin, Consultante auprès du secteur public, experte des organisations financières.

La fonction Achat et marchés publics des opérateurs dans le viseur pour la réduction des dépenses publiques

L’un des 3 objectifs stratégiques du programme Action Publique 2022 concerne la réduction des dépenses publiques, avec un chantier dédié à la modernisation de la gestion budgétaire et comptable. Les opérateurs de l’Etat se sont vus battre le rappel – si cela était nécessaire depuis l’arrivée en fanfare du décret GBCP et les évolutions organisationnelles considérables qu’ils ont alors dû opérer – sur des enjeux de gestion pluriannuelle, d’économies budgétaires, et d’efficience.
Pour préciser l’objectif, en juin 2019, le gouvernement annonçait un processus de réduction des dépenses devant générer au minimum 1 milliard d’euros d’économies budgétaires sur les achats publics3 d’ici la fin 2022. A la tête du déploiement du plan d’action, la Direction des achats de l’État (DAE), que les opérateurs de l’Etat connaissaient jusqu’alors pour les marchés publics mutualisés qu’elle porte. C’est ici la manière dont l’Etat et ses opérateurs non seulement dépensent, mais surtout achètent qui est visée.

Les opérateurs de l’Etat n’ont cependant pas attendu pour engager des travaux relatifs à leurs achats. La circulaire annuelle relative à la gestion budgétaire et comptable des organismes publics et des opérateurs de l’État4, qui donne le cadre général de la présentation des budgets, annexe déjà depuis plusieurs années une fiche relative aux achats. Elle y donne des objectifs à décliner dans un plan d’action présenté au conseil d’administration, et qui peuvent même être intégrés à leurs contrats d’objectifs et de performance.

Considérant l’arsenal des formes de mise en concurrence offertes aux opérateurs de l’Etat, la question de l’efficience de l’achat se pose aussi en ces termes. Ils sont de plus en plus incités à questionner leur manière d’acheter et il ne s’agit plus seulement de pister les dépenses qui auraient échappé à une mise en concurrence, mais bien plus, d’identifier la procédure la plus pertinente pour couvrir leurs besoins. Depuis la mutualisation et massification des achats entre opérateurs jusqu’aux partenariats d’innovation en R&D, le spectre est large et permet de faire du sur-mesure.

Faire place aux nouveaux enjeux et proposer des outils aux acheteurs et juristes marchés publics

La dernière actualité relative à la publication de six nouveaux CCAG met en lumière la nécessaire mise à jour du socle textuel. La refonte de ces cahiers permet notamment d’intégrer les dernières évolutions en matière de dématérialisation pour en faire des outils “adapté[s] à l’ère du numérique”5. Ils couvrent également à présent les exigences de diverses directives et règlements récents, comme le RGPD.

On y retrouvera également une prise en compte renforcée des objectifs de développement durable dans l’exécution des marchés, avec des clauses environnementales pour fixer des obligations en matière de transport, d’emballage et de gestion des déchets, et une clause d’insertion sociale permettant aux acheteurs d’associer plus facilement les personnes éloignées de l’emploi à l’exécution des prestations.

Au cours de cette dernière décennie, la modernisation des outils à disposition des acheteurs et juristes marchés publics s’est faite par étapes successives : ce fut le rehaussement progressif du seuil de mise en concurrence passant de 15 000€ HT à 40 000€ HT, les marchés publics simplifiés (MPS)6, l’autorisation expresse du recours au sourcing7, ou encore la dématérialisation des procédures de marchés publics.

Outre le cadre procédural, des efforts pour donner aux acheteurs des outils concrets ont conduit à la création du profil d’acheteur, de PLACE – la plateforme des achats de l’Etat8, ou encore d’une documentation plus accessible, comme le “guide « très pratique » de la dématérialisation des marchés publics”9, par la Direction des affaires juridiques du Ministère de l’Economie et des Finances (DAJ)10, qui fait figure d’exception, par son applicabilité immédiate, dans le paysage textuel. Dans le fascicule destiné aux acheteurs publics, sur le recours obligatoire au profil d’acheteur, elle y indique par exemple une liste de structures offrant des plateformes mutualisées vers lesquelles se tourner pour se procurer le service.

Sur le terrain enfin, les outils dont disposent les acheteurs et juristes marchés publics sont relativement complets mais finalement peu intégrés. Un agent en charge d’un acte d’achat au sein d’un opérateur de l’Etat aura classiquement une multitude d’actions à mener depuis l’analyse d’un besoin jusqu’au dénouement final du marché public, en passant par la stratégie de consultation et la mise en concurrence. Il interagira avec de nombreux acteurs au sein et en dehors de son organisation – services dépensiers, équipes financières de l’ordonnateur et du comptable, CBCM11 et fournisseurs. Et il aura besoin d’informations multiples, souvent portées dans des systèmes éclatés : informations budgétaires et comptables issues du système d’information financier, éléments juridiques, données économiques (comme des indices de révision)…

L’étape suivante sur le chemin de la modernisation consistera donc sans doute à trouver des leviers d’efficience et des accélérateurs. Les systèmes d’information financiers pourront par exemple proposer des tableaux de bord embarqués analysant les grands indicateurs pertinents pour une stratégie de consultation ou un plan d’action achat : nombre de fournisseurs et concentration des achats, segments d’achat, taux de renouvellement, taux de reconduction. Mais également des indicateurs opérationnels permettant une meilleure planification de l’activité et programmation des marchés publics : durée de vie moyenne et durée de vie restante d’un marché, qu’ils pourront croiser avec des données plus stables comme la durée moyenne d’une procédure.
Enfin, l’interopérabilité des différents systèmes, y compris externes (BOAMP, Chorus par exemple) devra être promue afin de fluidifier les processus à l’œuvre.

Conclusion et ouverture

L’acheteur et le juriste marchés publics, au sein d’un opérateur de l’Etat, sont la porte d’entrée vers un écosystème très large et finalement représentatif de la société dans son ensemble. Comme le tailleur de pierre dont le sens de l’ouvrage est la construction d’une cathédrale, ils sont à l’épicentre de la mission de service public de l’organisme.

Dans certaines structures publiques, une Direction des achats et du juridique existe directement rattachée à la Direction générale. Elle y est même dans certains cas adjointe d’une cellule du contrôle de gestion. Cela semble une piste intéressante pour permettre d’adresser les nombreux enjeux qui lui font face, notamment de modernisation, rationalisation et responsabilité sociétale et c’est une transformation organisationnelle qui doit venir de l’organisme lui-même.

1 https://www.economie.gouv.fr/daj/les-nouveaux-ccag-sont-publies
2 https://www.modernisation.gouv.fr/laction-publique-se-transforme/avec-les-administrations-et-les-operateurs-publics/action-publique-2022
3 État et opérateurs
4 https://www.budget.gouv.fr/index.php/documentation/circulaires-budgetaires
5 Citation Ministère de l’Economie et des Finances
6 https://www.economie.gouv.fr/daj/acheteurs-publics-10-conseils-pour-reussir/sites-et-partenaires
7 Article 4 du décret n°2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics
8 https://www.marches-publics.gouv.fr/
9 https://www.economie.gouv.fr/daj/dematerialisation-commande-publique
10 https://www.economie.gouv.fr/daj
11 Le CBCM, contrôleur budgétaire et comptable ministériel, est amené à viser certaines procédures de mise en concurrence avant leur notification.