Opérateurs de l’Etat : vos données financières valent de l’or
mais êtes-vous prêts ?
L’édition 2022 de la circulaire annuelle relative à la gestion budgétaire et comptable publique des opérateurs de l’Etat a été publiée en juillet1 et, parmi ses nouveautés et rappels, un soin particulier est apporté à l’encadrement des conditions de production et transmission des données financières des organismes.
Si la donnée est déjà depuis longtemps valorisée comme le nouvel or des organisations, pour les opérateurs de l’Etat et organismes publics, la tendance reste relativement désorganisée.
Par Clémence Monvoisin, Consultante auprès du secteur public, experte des organisations financières.
Lorsque l’on s’intéresse aux données financières des opérateurs de l’Etat, plusieurs constats s’imposent :
- les mêmes acteurs, issus des ministères de tutelle ou financiers, sont parties prenants exclusives de chaque étape ;
- les outils et procédures sont peu automatisés et peu sécurisés, en témoignent les fuites de données2 et cyberattaques ;
- les cas d’usage sont peu développés, peu novateurs, et peu fédérateurs autour des enjeux que portent les données financières.
Si les organismes sont exhortés à transmettre toujours plus d’informations financières, il semble que le travail de mise en qualité consomme tellement d’attention et d’efforts, que la donnée reste une richesse confidentielle.
Des données, toujours plus de données
Comme chaque année, la circulaire relative à la gestion budgétaire et comptable publique rappelle aux organismes publics les nombreuses informations qu’ils doivent périodiquement transmettre. Dans cette édition, en particulier, il semble que toutes les directions de Bercy aient tenu à passer commande :
- La Direction du Budget rappelle le soin particulier qui doit être accordé au renseignement des données relatives au schéma d’emplois3, outil d’analyse utilisé par le Parlement lors des ratifications budgétaires ;
- La Direction des Achats de l’Etat introduit la nouvelle procédure de transmission des données de pilotage et de performance des achats via le portail “APPACH WEB EP”4 ;
- La Direction de l’immobilier de l’Etat, quant à elle, présente un tableau de bord du parc immobilier, qui sera alimenté par les informations des opérateurs remontées via un questionnaire en ligne5 ;
- Enfin, nouveauté éminemment conjoncturelle, au sein des opérateurs concernés par le plan de relance de l’Etat6, les agents comptables seront sollicités par la Direction générale des Finances publiques pour transmettre mensuellement les données de l’exécution budgétaire à l’échelon départemental7.
…Toutes ces démarches, en plus des rituelles remontées budgétaires et comptables.
Pourtant, l’exploitation et la circulation des données est encore limitée parmi les organismes publics. Le manque de “culture de la donnée” y est souvent pointé du doigt, sur fond de confiance limitée en l’information financière produite. En la matière, l’entrée en vigueur du décret GBCP a représenté un challenge sans précédent pour les éditeurs des solutions informatiques qui outillent les opérateurs de l’Etat. Des efforts considérables ont été réalisés pour coller aux attentes réglementaires, mais force est de constater que la prudence est encore de rigueur.
Un second axe de travail porte sur la structuration d’une gouvernance de la donnée au service du pilotage de l’établissement. Outre la dimension technique tentaculaire qui consiste à interconnecter les différentes briques du système d’information, il s’agira de repenser les rôles de chaque agent et chaque processus de la chaîne financière afin de développer une stratégie efficiente au service d’un objectif… encore un peu flou. Car nombreux sont les opérateurs de l’Etat qui s’interrogent sur l’analyse et l’utilisation qui sont faites de leurs données.
Que fait-on de vos données financières ?
La Direction du Budget et la Direction des Finances publiques du ministère des Finances ont commencé à formuler une réponse avec le projet “INFINOE”8.
Actuellement, les agents comptables communiquent dans un infocentre des fichiers de restitution des données budgétaires et comptables agrégées. Afin d’enrichir ce processus, la DGFIP, soutenue par le Fonds pour la Transformation de l’Action publique9, a lancé le développement d’une solution applicative permettant de récolter, pour chaque organisme et en permanence, l’ensemble des écritures générées dans son système d’information financière, quel qu’il soit. Sur la base de cette transmission via API10, INFINOE proposera quotidiennement l’ensemble des états réglementaires attendus par les instances de contrôle.
Ce repositionnement du ministère des finances en exploitant de la donnée des opérateurs de l’Etat devra permettre de faire des ponts avec les autres sources d’information financière. Il est déjà prévu le croisement des données d’INFINOE avec celles des projets et rapports annuels de performance, avec l’objectif, à terme “d’être la source unique de toutes les informations budgétaires et comptables de l’ensemble des organismes publics nationaux”11, pour de multiples bénéficiaires et cas d’usage.
Le premier cas d’usage, assez largement diffusé, consiste à construire des outils d’aide à la décision sous forme de tableaux de bord. S’appuyant sur le croisement de données de toute nature, il s’agit d’établir des liens non évidents. Par exemple, croiser les données de prévision budgétaire avec les flux de trésorerie permet de ventiler le rythme de versement de la subvention pour charge de service public, afin de ne pas mettre l’organisme en situation de carence ou de réserves inutiles. Autre situation, l’analyse des taux d’engagements budgétaires croisés avec des délais moyens de facturation et de paiement permet d’affiner les travaux de reprogrammation de fin d’exercice, autour des restes à payer.
Pour un établissement commercialisant des offres, on pourra imaginer mesurer, en temps réel, l’effet d’une politique tarifaire sur la base des recettes perçues et des variations de fréquentation ou de ventes.
Les sciences de la donnée permettent également des gains opérationnels pour les équipes financières dans la réalisation quotidienne de leurs activités, en particulier sur le plan du contrôle interne comptable et budgétaire, encore insuffisamment développé chez les opérateurs de l’Etat – en témoigne l’insistance des bureaux réglementaires de Bercy sur le sujet. Le cas d’usage est particulièrement intéressant lorsqu’on le prend sous l’angle de l’allègement des contrôles. Peut-être contre-intuitive, il s’agit pourtant de vérifier l’hypothèse selon laquelle “plus de données = moins de contrôles” en permettant d’expérimenter des modes de contrôle différents, favorisant l’automatisation sur la base de schémas vérifiés, le contrôle a posteriori, aléatoire ou par échantillon. C’est un cas d’usage déjà largement déployé par le secteur bancaire dans la lutte contre la fraude.
Nous en conviendrons tous : rien de plus normal que de tracer précisément l’allocation et l’utilisation des deniers publics. Que ce soit pour un usage circonscrit à la sphère financière des organismes ou pour une communication plus large, la donnée publique est vectrice de transparence dans la cité. A plus forte raison, dans un contexte où la dépense publique est la cible de multiples formes de procès, la contribution des directions financières de l’Etat à l’enrichissement du Service public de la donnée12, via l’open data, est un prérequis à tout projet politique.
Alors, et à en juger par le succès des hackathons13 et autres évènements démocratiques, si vous ne savez toujours pas quoi faire de vos données financières, demandez directement aux citoyens, ils auront des idées qui pourraient bien vous surprendre !
1 lien vers la circulaire et les webconférences
2 voir notamment la fuite des données de santé de l’APHP
3 Il s’agit du tableau n°1 DPGECP (page 25 de la circulaire)
4 Il s’agit de l’annexe achat (annexe n°21, pages 87-88)
5 Il s’agit de l’annexe Immobilier (annexe n°22, pages 89 à 91)
6 Une partie des 40 milliards d’euros de crédits budgétaires ouverts en LFI 2021 est versée aux opérateurs soit pour leur bénéfice propre, soit pour être reversée vers des tiers bénéficiaires
7 voir page 20 de la circulaire
8 INFINOE :” information financière des organismes de l’Etat” ; voir l’annexe 16 bis pages 64-65 de la circulaire relative à la gestion budgétaire et comptable
9 voir le FTAP
10 Application Programming Interface ou « interface de programmation applicative »
11 DGFIP, webconférence du 9 septembre 2021
12 https://www.data.gouv.fr/fr/pages/spd/reference/
13 voir #Datafin le hackathon des ministètes financiers : https://www.bercynumerique.finances.gouv.fr/vivre-le-numerique-a-bercy/la-dgfip-fait-son-hackathon